Un baril à 100 dollars et un euro à 1,45 : le monde est fou !
ACDEFI - 01 novembre 2007
Il faut le reconnaître : face au mimétisme des marchés et à la puissance de la spéculation, l’économie ne fait pas le poids. Ainsi, est-ce bien nécessaire, comme nous le faisons régulièrement, de rappeler que le juste prix d’un baril de pétrole est compris entre 8 et 20 dollars selon qu’il soit produit en Arabie Saoudite ou dans le grand Nord canadien ? A quoi cela sert-il également de rappeler que l’actuel niveau d’équilibre offre/demande d’un baril est d’au plus 45 dollars ?
De même, est-ce bien raisonnable de souligner que le bon niveau de l’euro/dollar en fonction des fondamentaux économiques est de 1,05 dollar selon la parité des pouvoir d’achat et d’au plus 1,20 dollar selon le taux de change naturel dit Natrex ? Ou encore que, sur les trente dernières années, le niveau moyen de l’euro est de 1,11 dollar ?
Autrement dit, face à une vague spéculative, est-il vraiment opportun de mettre en avant la réalité des fondamentaux économiques et d’essayer d’avoir raison tout seul plutôt que de préférer se tromper avec tout le monde ?
Depuis des années, nous ne cessons de répondre par l’affirmative à l’ensemble de ces questions, en répétant qu’il s’agit justement là d’un des rôles principaux de l’économiste, en l’occurrence prendre du recul par rapport à l’instantané et rappeler quel est le bon niveau des grandeurs financières en fonction des fondamentaux économiques et indépendamment des mouvements courtermistes et du suivisme de marché.
Bien entendu, la spéculation fait partie de la vie des marchés et vouloir la supprimer serait vain car sans spéculation, il n’y aurait pas de marchés financiers. C’est notamment elle qui crée la liquidité et c’est aussi elle qui permet aux agents désireux de se couvrir contre les risques de variations de cours de pouvoir le faire. Néanmoins, la spéculation est saine tant qu’elle reste la partie émergée de l’iceberg des marchés financiers, le socle de cet iceberg résidant dans le financement de l’économie, la couverture du risque et la prise en compte des fondamentaux économiques.
En revanche, dès que les rapports s’inversent et que la spéculation devient la quasi-totalité de l’iceberg, la spéculation devient dangereuse et surtout néfaste.
C’est exactement ce que nous sommes en train de vivre aujourd’hui avec l’envolée du cours du pétrole et la flambée de l’euro/dollar. En effet, défiant la réalité des fondamentaux économiques, ces deux variables atteignent des sommets historiques pour la simple raison que les opérateurs de marchés, ne sachant plus à quels saints se vouer, préfèrent se focaliser sur les stratégies d’analyse technique, sur les craintes géopolitiques, ou encore sur des rumeurs et autres artifices propices à entretenir la spéculation. Nous sommes donc exactement confronté à ce que Keynes appelait les « animal spirits ». Dans ce cadre, faire des prévisions sur la base des fondamentaux économiques tient presque de la gageur.
Mais, malheureusement, il ne s’agit pas là d’un simple jeu sans conséquences si ce n’est pour les opérateurs de marché. Car la flambée injustifiée des cours pétroliers et de l’euro aura de forts effets négatifs sur la réalité économique, et par là même sur la réalité boursière.
Certes, lorsque le baril augmente de douze dollars sur une année, cela réduit d’environ 0,4 point la croissance mondiale. C’est relativement peu, mais de douze dollars en douze dollars, la facture risque de dépasser les 2 points de croissance. Et ce d’autant qu’en flambant, le pétrole accroît les pressions inflationnistes et réduit par là même la marge de manœuvre des banques centrales pour assouplir leur politique monétaire, en particulier dans la zone euro, où la BCE commence même à agiter le chiffon rouge d’un possible resserrement…
D’où la poursuite de l’appréciation de l’euro qui, elle aussi, va coûter très cher. Certes, elle permet actuellement à l’économie américaine de renforcer sa reprise. En revanche, de ce côté-ci de l’Atlantique, où la croissance est déjà structurellement molle (devons-nous rappeler que la croissance structurelle de la zone euro est de 1,8 % contre 3,2 % outre-Atlantique ?), les dégâts risquent de devenir dramatiques.
Pour l’instant, les marchés n’ont cure de toutes ces considérations économiques. Néanmoins, au fur et mesure qu’ils se rendront comptes des dommages économiques collatéraux causés par leurs égarements, ils finiront par admettre que les niveaux actuels du baril et de l’euro n’ont aucun sens. Le balancier repartira alors en sens inverse, mais le mal aura déjà été fait.
Face à cette triste perspective, nous ne pouvons pas faire grand-chose, si ce n’est rappeler ce que tout économiste, plutôt que de suivre bêtement le troupeau, devrait souligner : à court terme, les variables financières divergent souvent de leur réalité économique, mais à moyen terme, les premières finissent toujours par converger vers la seconde. Il faut simplement rester calme et s’armer de patience…
Marc Touati
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