Spéciale dernière : Qui veut la mort de la presse quotidienne française ?Emmanuel SCHWARTZENBERG
Calmann-Lévy, 2007.
281 pages, 18 euros
La crise de la presse quotidienne nationale française, qui se développe comme un cancer depuis des années, semble aujourd’hui entrer dans une phase critique. Le pronostic vital des rares titres survivants est engagé. Tous sont en effet frappés à des degrés divers par la chute des ventes en kiosque, la stagnation des abonnements, la baisse des recettes publicitaires, la hausse vertigineuse et incontrôlable des coûts, l’érosion de leur crédibilité, et bien sûr l’apparition d’une concurrence multiforme.
Emmanuel Schwartzenberg ne se contente pas de recenser les causes les plus visibles et les plus fréquemment citées de cette bérézina, à savoir l’apparition des journaux gratuits et la concurrence d’Internet. Le mal, selon lui, date de la Libération, quand des avantages aussi exorbitants qu’immérités furent concédés au Syndicat du livre - avantages qui lui permirent de capter au profit de ses adhérents une grande partie des marges de la presse pendant un demi-siècle, la laissant exsangue à l’heure des grandes mutations.
L’auteur nous livre le récit détaillé des tractations, manœuvres et abdications qui émaillèrent la vie mouvementée de la presse française depuis 1944 et entérinèrent progressivement la perte de souveraineté des éditeurs, la paupérisation des rédactions et la mystification comme méthode de communication de l’ensemble de la profession. Ayant eu accès à quantité de documents très confidentiels, l’auteur dévoile la terrible réalité des vrais chiffres : salaires des rotativistes, coût réel des plans de licenciement, tirages, ventes en kiosque, abonnements, exemplaires gratuits, exemplaires "tombés du camion", chiffres d’affaires publicitaires "nets", c’est-à-dire réellement encaissés... Quand le groupe Springer renonce à lancer une édition française de Bild, comment ne pas y voir la preuve qu’il y a quelque chose de pourri au royaume de la presse quotidienne française ?
(Présentation de l’éditeur)
Ainsi apprend-on que, bien malgré eux,
les quotidiens français alimentaient en papier les journaux de Fidel Castro. Des ouvriers du Livre détournaient tranquillement 200 tonnes par mois (soit 5 % du volume traité) afin d'aider la presse castriste à survivre. Quand le pot aux roses est découvert, en 1987, Robert Hersant, alors patron de la Socpresse, préfère fermer les yeux sur ce larcin. Mieux vaut aider Castro que risquer la grève...
« Spéciale dernière » (paru chez Calmann-Lévy) révèle également la découverte, fin 1991, par la direction des NMPP, (Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne) d'une
cache d'armes de 5 000 fusils dans l'un des hangars de Saint-Ouen. La vente de ces armes, détournées lors de la faillite de Manufrance, en 1980, devait aider les ouvriers sans emploi. En fait, elles ont été clandestinement stockées au sein même des NMPP en attendant sagement l'hypothétique « Grand Soir »... « La direction des NMPP alerte la justice mais s'abstient de porter plainte », raconte Emmanuel Schwartzenberg. De nouveau, le scandale est étouffé, le gouvernement socialiste négociant directement avec la CGT.
Principale thèse de l'auteur : le monopole du Livre sur les imprimeries (accordé en 1944) a surenchéri le coût des journaux.
Un rotativiste de base toucherait ainsi 4500 euros bruts (sans les heures sup), un cadre rotativiste 7000 euros... On comprend que les coûts de distribution représentent 40 % du prix de vente....
« Sans la carte de la CGT , écrit encore Emmanuel Schwartzenberg, il est impossible de devenir ouvrier dans une entreprise de presse quotidienne, et ces qualités-là,
on se les transmet de père en fils. » « Spéciale dernière » va faire du bruit !
Emmanuel Schwartzenberg, journaliste économique et politique, est un des spécialistes français des médias. II a dirigé pendant presque dix ans la page Médias-Publicité du Figaro et a créé l’émission "La Vie des médias".
A écouter sur :
http://www.france-info.com/spip.php?article34944&theme=39&sous_theme=176#
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