Contrairement aux apparences, Sarkozy est un faux-dur qui multiplie les concessions aux grévistes. Une politique qui met le gouvernement en grande difficulté.
«Préparons-nous au pire, nous aurons moins mal.» Comme pour la précédente grève du 18 octobre, cette philosophie de pacotille a été érigée en axe de communication par le régime. Samedi dans le Figaro, le ministre du Travail a dramatisé la situation : «Chacun des usagers doit se préparer à une grève qui peut durer.»
Il faut comprendre ce pessimisme inhabituel chez les gouvernants : il s'agit de déminer la gestion catastrophique du conflit par son Eminence. Le régime a abordé la séquence de la rentrée sociale avec un lourd handicap : il a prodigué des offrandes fiscales aux plus riches au moment précis où, du fait de la hausse du baril de pétrole et du ralentissement de la croissance, le pouvoir d'achat tourne à l'obsession au sein de la classe ouvrière et des couches moyennes. Pire, l'augmentation (finalement on en est à 200%, voir l'article de Hervé Nathan dans le numéro de cette semaine de Marianne) que le Président s'est octroyée apparaît comme une provocation dans ce contexte.
Un faux dur
Lui-même d'ailleurs en est troublé. À chacune de ses sorties sur le terrain, Sarkozy lâche du lest, ce qui plonge François Fillon dans la consternation. Sarkozy chez les cheminots ? Il faudra toute la veulerie des journaux télévisés, comme l'a bien relevé Arrêts sur Images pour ignorer que le Président a fait, « en live », d'importantes concessions sur la question de la décote de la retraite aux cheminots. Venant après celles du gouvernement aux syndicalistes de la FGAAC, elles finissent par vider la réforme de tout contenu. La réforme oui, mais pour les futurs cheminots ! Telle est en réalité l'étrange philosophie sociale du pouvoir, très inspirée par ce que fit naguère Christian Blanc à Air France : les syndicalistes avaient alors accepté que la remise en cause des acquis ne touche que les jeunes générations…
Avec les marins pêcheurs, la communication sarkozienne a fait un bond en avant dans l'incohérence. Alors que, sur place, Sarkozy bombait le torse à la manière d'un zyva de banlieue, il donnait entièrement satisfaction aux marins pêcheurs. À ce moment encore, on retrouve la philosophie toute balladurienne du Président : lorsque des revendications ne coûtent pas cher, autant les satisfaire.
A quand les routiers ?
Moyennant quoi, le gouvernement doit sans doute se préparer au blocage des camionneurs. Victimes des mêmes aléas, pourquoi ne revendiqueraient-ils pas eux aussi des aides pour payer leur carburant ? Le problème est que, dans le cas de la route, les concessions coûteront infiniment plus cher. Voilà pourquoi on n'est pas sûr de voir Sarkozy venir discuter devant les braseros allumés par les chauffeurs routiers…
En réalité, et nous l'avons écrit bien des fois, loin d'être le « Sarko-facho » stigmatisé par une partie de la gauche, ou même le « Sarko le libéral » par la France qui se lève avec Jean-Michel Apathie, le Président est plutôt à ranger dans la catégorie des «faux durs», prêt à céder à la moindre poussée de fièvre sociale. C'est ce qu'il avait déjà montré du temps d'Edouard Balladur en cédant au mouvement étudiant, puis, plus récemment, en forçant Dominique de Villepin à abolir le CPE.
Sarkozy, pompier pyromane
Tout cela, les cheminots et les fonctionnaires, comme les étudiants, le savent. D'où l'étrange semaine sociale que nous nous apprêtons à vivre. Peu enclins à se lancer dans une épreuve de force, les syndicalistes ont fini par céder à une base qui entrevoit le recul possible du pouvoir et à appeler à une grève reconductible qui se situe dans une perspective de convergence des luttes. Les étudiants sont aussi peu motivés pour lutter contre la réforme Pécresse – qui ne les concerne guère – que les salariés de la SNCF, d'EDF et de la RATP croient possible de sauver leur régime spécial. Mais les uns et les autres sont tentés d'en découdre. Parce que Sarkozy les a provoqués par son augmentation de traitement et par ses descentes intempestives sur le terrain. Et parce qu'ils ont l'impression qu'il suffit de le pousser pour le faire reculer. Parce que, enfin, la réforme est délégitimée par le fait que chacun sait bien que la disparition des régimes spéciaux ne constitue en rien une solution à la question de l'équilibre de notre système de retraites. D'où les intentions de fermeté que les conseillers de Sarkozy ont laissé filtrer dans les médias : cette fois-ci, c'est sûr, le Président ne cèdera rien !
Sur le fond, Sarkozy a voulu manifester de la compréhension pour les bénéficiaires des régimes spéciaux. Il a dit lui-même qu'il ne fallait pas les stigmatiser. Il a fait dire à Henri Guaino que le régime ne souhaitait pas que ces retraités gagnent moins. Il a montré, par son empressement à venir en Bretagne, qu'il comprenait le désespoir des marins. Comment faire autrement quand on a mené campagne pour l'amélioration du pouvoir d'achat pendant un an ?
Tout le problème du régime est là. Son chef a proposé un bon diagnostic – la priorité pour le pouvoir d'achat – mais de mauvaises solutions pour résoudre le mal.
Lundi 12 Novembre 2007 - 00:01
Philippe Cohen
http://www.marianne2.fr/Cheminots,-marins,-etudiants-Comment-Sarkozy-se-vautre_a81040.html