Hervé Morin : Rire aux armes
Ancien second de Bayrou,le nouveau ministrede la Défense perturbe ses troupes par sa décontraction et sa gouaille.
Libération QUOTIDIEN : vendredi 9 novembre 2007
Soudain, Hervé Morin quitte son fauteuil et se met au garde-à-vous. «Vous ne remarquez rien, bien sûr, mais pour un militaire, c’est désastreux.» Le ministre de la Défense dit ça, puis rectifie la position pour une revue de troupes imaginaire. Dans le spacieux bureau en rez-de-jardin de l’hôtel de Brienne, son claquement de talons implore l’indulgence pour le néophyte qu’il fut. Un plaidoyer mimé, à la mesure de la consternation dans laquelle ses premiers pas ont plongé l’institution la plus policée de la République.
«C’est remonté de partout», confie un conseiller. Moins d’un mois après son entrée en fonction, les militaires épinglent sans ménagement celui qui, prenant Nicolas Sarkozy au mot, prétend «rester lui-même». Son manque de tenue, son ton gouailleur, son apparente désinvolture insupportent. Habituée à la raideur châtiée d’une Michèle Alliot-Marie, la Défense se navre de voir sa nouvelle tête d’affiche zieuter les filles ou toucher, en marchand de souk, les tapis d’ambassade. Hervé Morin, ses SMS en rafales et ses éclipses téléphoniques au cours de brainstormings formels, n’est décidément pas le genre de la maison. Alarmé par la virulence des critiques, l’entourage du ministre lui inculque le b.a.-ba du code militaire de bonne conduite. Le nouveau venu s’exécute, un an de service national comme «seconde pompe» à l’école militaire de Paris, refuge des étudiants comme lui pistonnés, ne lui ayant rien appris d’impérissable. Morin soigne la forme, mais le style reste direct. «Je n’ai jamais pensé que l’autorité dépend du niveau de froideur et de distance avec les gens.»
La fraîcheur de l’accueil des galonnés ne le décourage pas. Morin est un habitué des débuts poussifs et des percées remarquées. Cela commence à l’adolescence. Même «dorlotée», la sienne devient violemment rebelle. Il redouble sa seconde, puis sa première, est viré de l’internat du lycée public de Deauville, puis, deux mois avant le bac, d’un lycée privé de Caen. De ces années d’école buissonnière, le ministre garde une faiblesse au tendon de la main droite, usé par les flippers. Peu lui importent les livres, il se veut paysan. Quinze jours avant le bac, il change d’avis sur un coup de foudre, épousé huit ans plus tard. Hervé le fonceur enquille les années de droit, Sciences-Po, et se réveille à 25 ans administrateur de l’Assemblée nationale. Fonctionnaire, enfin. «Je pensais que c’était le meilleur moyen pour faire de la politique.»
Comme ses grands-pères, maires paysans et mendésistes, comme son père, petit patron et gaulliste encarté, son cœur bat pour «la chose publique» : «Il me semblait que c’était ce qu’il y avait de plus noble.» L’administration l’ennuie. Aux hauts fonctionnaires, qui «souffrent d’un complexe de supériorité assez insupportable», ce libéral revendiqué préfère la fréquentation des grands patrons. «Avec eux, je me sens naturellement en phase, admet-il. On parle pareil, on a le même comportement pragmatique et concret.»
La bise facile et le mot pour rire, Morin gagne toutes les campagnes normandes. Municipale et cantonale d’abord («J’ai fait du porte-à-porte dans toutes les maisons du canton»). Puis législative en 1998, Ladislas Poniatowski, partant pour le Sénat, ayant choisi ce «bosseur efficace» pour tenir sa circonscription de l’Eure anciennement socialiste. Les électeurs chaque fois en redemandent. Parisien la semaine (ses jumeaux sont scolarisés dans la capitale), Morin marque sa préférence pour son fief : il est locataire à Paris XVIIe (dans le même immeuble que son comparse au gouvernement Hervé Novelli) et propriétaire près d’Epaignes (Eure), son berceau et sa mairie. La reconnaissance vient en 2002, quand les députés UDF le choisissent comme chef de file. Morin fréquente les maîtres à penser de la droite parlementaire, François Bayrou quasi quotidiennement, Nicolas Sarkozy de loin en loin. L’élu normand qui, en vrai terrien, n’a de rêve qu’accessible commence à songer au gouvernement.
La Défense, Morin l’a désirée. Trop sans doute pour avoir pris la mesure du corset. De ses deux ans passés au cabinet de François Léotard, alors maître des lieux, il avait gardé un souvenir enchanté et pas mal d’amis. Revenir quinze ans plus tard en patron à l’hôtel de Brienne avait de la gueule. «Quand Nicolas Sarkozy m’a appelé, j’étais vachement content», confirme celui qui, dans la seconde, oublie ses chahuts de conscience. Car entre les deux tours de la présidentielle, Morin, fidèle parmi les fidèles de Bayrou, le même Morin qui n’avait pas de mots assez durs pour qualifier les centristes passés à l’ennemi sarkozyste, change d’auge avec perte et fracas : la quasi-totalité des députés UDF lui emboîtent le pas, privant du jour au lendemain de représentation nationale une formation centriste qui drague trop ouvertement à leur gré les sociaux-démocrates. On le soupçonne de double jeu. Morin, qui a sa fierté, jure : «Rien n’était prémédité.» Il contre-attaque :«C’est François qui nous a trahis.» Mais Sarkozy veut davantage que le renfort tardif d’une poignée de centristes : que Morin fonde au débotté un nouveau parti de centre droit (le Nouveau Centre) et prive d’espace politique son ancien mentor. L’ambitieux consent à tout. Au moment de sacrifier l’ami, le cynisme pourtant lui manque. Devant Bayrou, Morin pleure. «Il a vécu la rupture comme un divorce», confirme un de ses proches.
Avec le député des Pyrénées-Atlantiques, le député de l’Eure partageait plus qu’un parti, une passion dévorante pour les chevaux de course. C’est à l’éleveur Bayrou que le turfiste Morin doit d’avoir rencontré son entraîneur, monté son écurie (il a onze chevaux en copropriété) et déniché le champion (Literato) qui fait aujourd’hui sa fortune. Les deux hommes ont même eu un canasson en commun. «Il a été vendu il y a quatre mois», coupe Morin. Un déchirement parmi d’autres. «Avec François, on n’a plus de rapports du tout. Il ne veut plus me parler», soupire le ministre. Ce qui les sépare ? La réponse est curieusement respectueuse : «François est dans la construction. La politique, c’est son destin, sa vie.» Le tempo de l’amateur de poker et d’hippodromes est plus saccadé. Ses ambitions plus immédiates. Il tranche : «En politique, il n’y a pas d’amis possibles au sens où j’entends les amis : des frères.»
De son titre régalien, Morin dit aujourd’hui qu’il ne lui monte pas à la tête. On le croit. Même avec ce «poids, terrible, lourd sur les épaules», la gravité ne lui vient pas. Il enchaîne : «J’ai conscience du côté très intérimaire de l’affaire.» Et puis encore : «Pour moi, la vie est une succession de parenthèses.» Au rythme de ses embardées médiatiques (sur le Rafale, le remaniement, le «chipotage» avec l’OTAN), celle de la Défense pourrait se refermer vite. Il esquisse un geste d’impuissance. N’exclut pas de faire «autre chose» (ouvrir un hôtel-restaurant, monter une entreprise). Mais travaille en sous-main à conserver la présidence, déjà convoitée par d’autres, de ce Nouveau Centre, auquel il a déjà tant sacrifié. «L’important, c’est d’avoir toujours le choix», soutient-il. Avec l’air de croire en ce qu’il veut.